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Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/126

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LES VOLEURS ET L’ÂNE

Nous nous étions remis à marcher. Il se taisait. Alors, je lui parlai de mademoiselle Antoinette.

C’était une petite personne toute fraîche, toute mignonne ; le regard demi-moqueur, demi-attendri ; le geste décidé, l’allure leste et pimpante ; en un mot, vraiment fille de la terre. Elle se distinguait de ses sœurs, les vierges folles, par une franchise et une loyauté rares dans le monde où elle vivait. Elle se jugeait elle-même, sans vanité comme sans modestie, et disait volontiers qu’elle était née pour aimer et jeter au vent du caprice son bonnet par-dessus les moulins.

Pendant trois longs mois d’hiver, je l’avais vue, pauvre et isolée, vivre de son travail. Elle faisait cela sans étalage, sans prononcer le grand mot de vertu, mais parce que telle était son idée du moment. Tant que son aiguille marcha, je ne lui connus pas un amoureux. Elle était un bon camarade pour les hommes qui la venaient voir ; elle leur serrait la main, riait avec eux, et tirait son verrou à la première menace d’un baiser. J’avouai que j’avais essayé de lui faire quelque peu la cour. Un jour, comme je lui apportais une bague et des pendants d’oreille :

― Mon ami, m’avait-elle dit, reprenez vos bijoux. Lorsque je me donne, je ne me donne encore que pour une fleur.

Quand elle aimait, elle était paresseuse et indolente. La dentelle et la soie remplaçaient alors l’indienne. Elle effaçait soigneusement les blessures de l’aiguille, et d’ouvrière devenait grande dame.