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Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/14

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À NINON

nants et de vignes laissant traîner sur le sol leurs ceps entrelacés.

Pauvre terre desséchée, elle flamboie au soleil, grise et nue, entre les prairies grasses et fertiles de la Durance et les bois d’orangers et de lauriers-roses du littoral. Je l’aime pour sa beauté âpre et sauvage, ses roches désolées, ses thyms et ses lavandes. Il y a dans ce vallon stérile je ne sais quel air brûlant de désolation : un étrange ouragan de passion semble avoir soufflé sur la contrée ; puis un grand accablement s’est fait, et les campagnes, ardentes encore, se sont comme endormies dans un dernier désir. Aujourd’hui, au milieu de mes forêts du Nord, lorsque je revois en pensée ces poussières et ces cailloux, je me sens un amour profond pour cette patrie sévère qui n’est pas la mienne. Sans doute, l’enfant rieur et les vieilles roches chagrines s’étaient autrefois pris de tendresse, et, maintenant, l’enfant devenu homme dédaigne les prés humides et les vertes allées, amoureux des grandes routes blanches et des montagnes brûlées et désertes, où son âme, fraîche de ses quinze ans, a rêvé ses premiers songes.

Je gagnais les champs, et là, au milieu des terres labourées ou sur les dalles des coteaux, lorsque je m’étais couché à demi, perdu dans cette paix et dans cette fraîcheur qui tombaient des profondeurs du ciel, je te trouvais, en tournant la tête, mollement couchée à ma droite, pensive, le menton dans la main, et me regardant de tes grands yeux. Tu étais l’ange de mes