Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/159

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
149
SŒUR-DES-PAUVRES

Sœur-des-Pauvres commença par la droite, jetant des poignées de sous dans les chapeaux de feutre et dans les tabliers, cela de si bon cœur, que bien des pièces roulaient sur les dalles. Elle ne comptait pas, la chère enfant. Le petit sac faisait merveilles ; il ne désemplissait pas et se gonflait tellement à chaque nouvelle poignée prise par la fillette, qu’il versait comme un vase trop plein. Les pauvres gens restaient ébahis de cette pluie joyeuse : ils ramassaient les sous tombés, oubliant le soleil qui se levait, disant des : « Dieu vous le rende, » à la hâte. L’aumône était si large, que de bons vieux croyaient que les saints de pierre leur jetaient cette fortune, et ils le croient encore.

L’enfant riait de leur joie. Elle fit trois fois le tour, afin de donner à chacun la même somme ; puis elle s’arrêta, non pas que le petit sac se trouvât vide, mais parce qu’elle avait beaucoup à faire avant le soir. Comme elle allait s’éloigner, elle aperçut dans un coin un vieillard infirme qui, ne pouvant s’approcher, tendait les mains vers elle. Triste de ne point l’avoir vu, elle s’avança, pencha le sac, pour lui donner davantage. Les sous se mirent à couler de cette méchante bourse comme l’eau d’une fontaine, sans s’arrêter, si abondamment, que Sœur-des-Pauvres ferma bientôt l’ouverture avec le poing, car le tas aurait monté en peu d’instants aussi haut que l’église. Le pauvre vieux n’avait que faire de tant d’argent, et peut-être les riches seraient-ils venus le voler.