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SŒUR-DES-PAUVRES

IV


Alors, ceux de la grand’place ayant les poches pleines, elle marcha vers la campagne. Les mendiants, oubliant de soulager leurs souffrances, se mirent à la suivre ; ils la regardaient avec étonnement et respect, entraînés dans un élan de fraternité. Elle, seule, regardant autour d’elle, s’avançait la première. La foule venait ensuite.

L’enfant, vêtue d’une indienne en lambeaux, était bien sœur des pauvres gens de sa suite, sœur par les haillons, sœur par la tendre pitié. Elle se trouvait là en famille, donnant à ses frères, s’oubliant elle-même ; elle marchait gravement de toute la force de ses petits pieds, heureuse de faire la grande fille ; et cette blondine de dix ans rayonnait d’une naïve majesté, suivie de son escorte de vieillards.

L’étroite bourse à la main, elle allait de village en village, distribuant des aumônes à toute la contrée. Elle allait devant elle, sans choisir les chemins, prenant les routes des plaines et les sentiers des coteaux ; puis elle s’écartait, traversant les champs, pour voir si quelque vagabond ne s’abritait pas au pied des haies ou dans le creux des fossés. Elle se haussait, regardant à l’horizon, regrettant de ne pouvoir jeter un appel à toutes les misères du pays. Elle soupirait en son-