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SŒUR-DES-PAUVRES

geant qu’elle laissait peut-être derrière quelque souffrance : cette crainte faisait qu’elle revenait parfois sur ses pas pour visiter un buisson. Et, soit qu’elle ralentît sa marche aux coudes des chemins, soit qu’elle courût à la rencontre d’un indigent, son cortège la suivait dans chacun de ses détours.

Or, il arriva, comme elle traversait un pré, qu’une bande de pierrots vint s’abattre devant elle. Les pauvres petits, perdus dans la neige, chantaient d’une façon lamentable, demandant une nourriture qu’ils avaient cherchée en vain. Sœur-des-Pauvres s’arrêta, interdite de rencontrer des misérables auxquels ses gros sous n’étaient d’aucun secours ; elle regardait son sac avec colère, maudissant cet argent qui se refusait à la charité. Cependant les pierrots l’entouraient ; ils se disaient de la famille, ils lui réclamaient leur part dans ses bienfaits. Près d’éclater en sanglots, ne sachant que faire, elle prit dans le sac une poignée de sous, car elle ne pouvait se décider à les renvoyer sans aumône. La chère enfant avait sûrement perdu la tête, s’imaginant que les gros sous sont monnaie de pierrots, et que ces enfants du bon Dieu ont meuniers pour moudre et boulangers pour pétrir le pain de chaque jour. Je ne sais ce qu’elle pensait faire, mais ce que personne n’ignore, c’est que l’aumône, jetée poignée de sous, tomba poignée de blé sur la terre.

Sœur-des-Pauvres ne parut pas étonnée. Elle servit un vrai festin aux pierrots, leur offrant toutes sortes