Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/17

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
7
À NINON

resse, une bien-aimée, dont je couvrais le visage de baisers, tout en lui serrant la main en vieux camarade. Dans la folie de ma tendresse, je donnais ton beau corps que j’aimais tant, à chacune de mes affections. Songe divin, qui me faisait adorer en toi chaque créature, corps et âme, de toute ma puissance, en dehors du sexe et du sang. Tu contentais les délicatesses et les délires de mon imagination, les besoins de mon intelligence. Ainsi, tu réalisais le rêve de l’ancienne Grèce, l’amante faite homme, aux exquises élégances de forme, à l’esprit viril, digne de science et de sagesse. Je t’adorais de tous mes amours, toi qui suffisais à mon être, et dont la beauté innommée me pénétrait et m’emplissait de mon rêve. Lorsque je sentais en moi ton corps souple et ferme, ton doux visage d’enfant et ta pensée faite de ma pensée, je goûtais dans son plein cette volupté inouïe et vainement cherchée aux anciens âges, de posséder une créature par tous les nerfs de ma chair, toutes les affections de mon cœur, toutes les facultés de mon intelligence.

Je gagnais les champs. Couché sur la terre, appuyant ta tête sur ma poitrine, je te parlais pendant de longues heures, le regard perdu dans l’immensité sombre de tes yeux. Je te parlais, insoucieux de mes paroles, selon mon caprice du moment. Parfois, me penchant vers toi, comme pour te bercer, je m’adressais à une petite fille naïve, qui ne veut point dormir et qu’on endort avec de belles histoires, leçons de charité et de sagesse ; d’autres fois, mes lèvres sur tes