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Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/19

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À NINON

Te souviens-tu, mon beau rêve, nous nous sommes dit adieu, par une soirée d’automne, au bord de la petite rivière. Les arbres dépouillés rendaient les horizons plus vastes et plus mornes ; la campagne, à cette heure avancée, couverte de feuilles sèches et humide des premières pluies, s’étendait noire, avec de grandes taches jaunes, comme un immense tapis de bure. Au ciel, les derniers rayons s’effaçaient, et, du levant, montait la nuit, menaçante de brouillards, nuit sombre que devait suivre une aube inconnue. Il en était de ma vie comme de ce ciel d’automne ; l’astre de ma jeunesse venait de disparaître, et la nuit de l’âge montait, me gardant je ne savais quel avenir. Je me sentais des besoins cuisants de réalité ; je me trouvais las du songe, las du printemps, las de toi, ma chère âme, qui échappais à mes étreintes et ne pouvais, devant mes larmes, que me sourire avec tristesse. Nos amours divines étaient bien finies ; elles avaient, comme toutes choses, vécu leur saison, et, voyant que tu te mourais en moi, j’allai ce soir-là, au bord de la petite rivière, dans la campagne moribonde, te donner mes baisers du départ. Oh ! l’amoureuse et triste soirée ! Je te baisai, ma blanche mourante, j’essayai une dernière fois de te rendre la vie puissante de tes beaux jours ; je ne pus, car j’étais moi-même ton bourreau. Alors tu montas en moi plus haut que le corps, plus haut que le cœur, et tu ne fus plus qu’un souvenir.

Voici bientôt sept ans que je t’ai quittée. Depuis le jour des adieux, dans mes joies et dans mes chagrins,