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À NINON

j’ai souvent écouté ta voix, la voix caressante d’un souvenir, qui me demandait les contes de nos soirées de Provence.

Je ne sais quel écho de nos roches sonores répond dans mon cœur. Toi que j’ai laissée loin de moi, tu m’adresses de ton exil des prières si touchantes qu’il me semble les entendre tout au fond de mon être. Ce doux frémissement que laissent en nous les voluptés passées m’invite à céder à tes désirs. Pauvre ombre disparue, si je dois te consoler par mes vieilles histoires, dans les solitudes où vivent les chers fantômes de nos songes évanouis, je sens combien moi-même je trouverai d’apaisement et de sereine mélancolie à m’écouter te parler, comme aux jours de notre jeune âge.

J’accueille tes prières et je vais reprendre, un à un, les contes de nos amours, non pas tous, car il en est qui ne sauraient être dits une seconde fois, le soleil ayant fané, dès leur naissance, ces fleurs délicates, trop divinement simples pour le grand jour ; mais ceux de vie plus robuste, et dont la mémoire humaine, cette grossière machine, peut garder le souvenir.

Hélas ! je crains de me préparer ici de grands chagrins. C’est violer le secret de nos tendresses que de confier nos causeries au vent qui passe, et les amants indiscrets sont punis en ce monde par l’indifférente froideur de leurs confidents. Ces feuilles écrites pour toi seule et que toi seule peux comprendre, vont peut-être tomber entre les mains de quelque curieux ;