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Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/194

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AVENTURES DU GRAND SIDOINE

couché en face de lui, contemplait avec amour les poings de son compagnon ; bien qu’il les eût vus grandir, il trouvait, à les regarder, un éternel sujet de joie et d’étonnement.

― Oh ! la belle paire de poings ! songeait-il ; les maîtres poings que voilà ! Comme les doigts en sont épais et bien plantés ! Je ne voudrais pas, pour tout l’or du monde, en recevoir la moindre chiquenaude : il y aurait de quoi assommer un bœuf. Ce cher Sidoine ne semble pas se douter qu’il porte notre fortune au bout des bras.

Sidoine, que le feu réjouissait, allongeait en effet les mains d’une façon indolente, et dodelinait de la tête, abîmé dans un oubli complet des choses de ce monde. Médéric se rapprocha du feu qui s’éteignait.

― N’est-ce pas dommage, reprit-il à voix basse, d’user de si belles armes contre les méchantes carcasses de quelques loups galeux ? Elles méritent vraiment un plus noble usage, comme d’écraser des bataillons entiers et de renverser les murs de citadelles. Nous sommes nés pour de grands destins, et nous voilà dans notre seizième année, sans avoir encore fait le moindre exploit. Je suis las de la vie que nous menons au fond de cette vallée perdue, et il est, je crois, grandement temps d’aller conquérir le royaume que Dieu nous garde certainement quelque part ; car plus je regarde les poings de Sidoine, et plus j’en suis convaincu : ce sont là des poings de roi.

Sidoine était loin de songer aux grandes destinées rêvées par Médéric. Il venait de s’assoupir, ayant