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ET DU PETIT MÉDÉRIC

ler les broussailles sans se piquer ; l’esprit de savoir perdre son temps, de mettre une matinée entière à déjeuner, tout en faisant deux ou trois lieues dans un sentier long de cinquante pas. J’en passe et des plus méritantes. Jamais certaines gens ne s’aviseront de vivre cette vie des élus : se nourrir d’air pur et de liberté, philosopher ou dormir entre deux bouchées. Seuls, les paresseux, fils bien-aimés du ciel, savent les finesses de ce joli métier.

Voilà pourquoi Médéric se vantait d’aimer les mûres.

Les ronces devant lesquelles il venait de s’arrêter étaient chargées de grappes longues et nombreuses. Il fut émerveillé.

— Tudieu ! dit-il, les beaux fruits et le beau prodige ! Des mûres en avril, et des mûres d’une telle grosseur : voilà qui me paraît tout aussi étonnant qu’un baquet d’eau changée en vin. On a raison de le dire, rien ne fortifie la foi comme la vue des faits surnaturels, et désormais je veux croire les contes de nourrice dont on m’a bercé. Moi, c’est ainsi que j’entends les miracles, lorsqu’ils emplissent mon verre ou mon assiette. Ça, déjeunons, puisqu’il plaît à Dieu de changer le cours des saisons pour me servir selon mon goût.

Ce disant, Médéric allongea délicatement les doigts et saisit une grosse mûre qui eût suffi au repas de deux moineaux. Il la savoura avec lenteur, puis fit claquer la langue, hochant la tête d’un air satisfait, comme un buveur émérite qui déguste un vieux vin. Alors, le cru étant connu, le déjeuner commença. Le