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AVENTURES DU GRAND SIDOINE

gourmand alla de buisson en buisson, humant le soleil dans les intervalles, établissant des différences de goût et de couleur, ne pouvant se fixer. Tout en allant, il discourait à haute voix, car il avait pris l’habitude du monologue en compagnie du silencieux Sidoine, et, quand il se trouvait seul, il ne s’en adressait pas moins à son mignon, estimant que sa présence importait peu à la conversation.

— Mon mignon, disait-il, je ne connais pas de besogne plus philosophique que celle de manger des mûres, le long des sentiers. C’est là tout un apprentissage de la vie. Vois quelle adresse il faut déployer pour atteindre les hautes branches, et, remarque-le, toujours les hautes branches portent les plus beaux fruits. Je les incline en attirant à petits coups les tiges basses ; un sot les briserait, moi je les laisse se redresser, en prévision de la saison prochaine. Il y a encore les épines, où les maladroits se blessent ; moi j’utilise les épines, qui me servent de crochets dans cette délicate opération. Veux-tu jamais juger un homme, le connaître aussi bien que Dieu qui l’a fait : mets-le, le ventre vide, devant une ronce chargée de baies, par une claire matinée. Ah ! le pauvre homme ! Pour ameuter les sept péchés capitaux dans une conscience, il suffit d’une mûre au bout d’une haute branche.

Et Médéric, tout aise de vivre, mangeait, pérorait, clignait les yeux pour mieux embrasser son petit horizon. D’ailleurs, il oubliait parfaitement S. M. Si-