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AVENTURES DU GRAND SIDOINE

toutes enfin. Rien dans les poches de gauche, rien dans les poches de droite. Mon frère Médéric n’était plus sur moi. J’avais espéré un instant le rencontrer se promenant dans quelque gousset écarté. Je visitai les coutures, j’inspectai chaque pli. Personne. Pas plus de Médéric dans mes vêtements que dans mes oreilles. Le peuple, stupéfait de ce singulier exercice, me soupçonna sans doute de chercher des raisons dans mes poches ; il attendit quelques minutes, puis se mit à me huer, sans plus de respect, comme si j’eusse été le dernier des manants. Avoue-le, frère, il eût fallu une forte tête pour se sauver saine et sauve d’une pareille situation.

— Je l’avoue volontiers, mon mignon. Et la vache ?

— La vache ! c’est en effet la vache qui m’embarrassait. Lorsque j’eus acquis la triste certitude qu’il allait me falloir parler en public, je rassemblai le plus de raison possible pour regarder la vache et la voir sans prévention aucune. Le vieux venait de se relever et me criait d’une voix colère cette éternelle phrase, reprise en chœur par le peuple : « Est-elle blanche ? est-elle noire ? » En mon âme et conscience, mon frère Médéric, elle était noire et elle était blanche, le tout ensemble. Je m’apercevais bien que les uns la voulaient noire, les autres blanche ; c’était justement là ce qui me troublait.

— Tu es un simple d’esprit, mon mignon. La couleur des objets dépend de la position des gens. Ceux de gauche et ceux de droite, ne voyant à la fois qu’un