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AVENTURES DU GRAND SIDOINE

les froids n’arrêtent les rivières dans leur course. Rien n’est vainqueur ; tout se contre-balance, se met pour sa part dans l’ordre universel ; de sorte que ce monde, où entrent en égale quantité toutes les influences contraires, est un monde de paix, de justice et de devoir.

Le Royaume des Heureux est très-peuplé ; depuis quand ? on l’ignore ; mais, à coup sûr, on ne donnerait pas dix ans à cette nation. Elle ne paraît pas encore se douter de la perfectibilité du genre humain, et vit paisiblement, sans avoir besoin de voter chaque jour, pour maintenir une loi, vingt lois qui chacune en demanderont à leur tour vingt autres pour être également maintenues. L’édifice d’iniquité et d’oppression n’en est qu’aux fondements. Quelques grands sentiments, simples comme des vérités, y tiennent lieu de règles : la fraternité devant Dieu, le besoin de repos, la connaissance du néant de la créature, le vague espoir d’une tranquillité éternelle. Il y a une entente tacite entre ces passants d’une heure, qui se demandent à quoi bon se coudoyer, lorsque la route est large et mène petits et grands à la même porte. Une nature harmonieuse, toujours semblable à elle-même, a influé sur le caractère des habitants : ils ont, comme elle, une âme riche d’émotions, accessible à tous les sentiments, et cette âme, où la moindre passion en plus amènerait des tempêtes, jouit d’un calme inaltérable, par la juste répartition des facultés bonnes et mauvaises.

Tu le vois, Ninon, ce ne sont pas là des anges, et