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ET DU PETIT MÉDÉRIC

voit distinctement ; les yeux sont un cadeau de l’esprit du mal, induisant la créature en erreur. La nuit n’existe pas, cela est certain, si le jour existe. Tu vas me comprendre. L’été, au temps des moissons, lorsque le ciel brûle et que les voyageurs ne peuvent supporter l’éclat des routes blanches, ils cherchent un mur et continuent à marcher le long du talus. Ils s’en vont ainsi, à l’ombre de ce mur, dans une nuit relative. Nous, en ce moment, nous nous promenons à l’ombre de la terre, dans ce que le vulgaire appelle une nuit absolue. Mais, parce que les voyageurs marchent à l’ombre, les champs voisins n’ont-ils plus les chaudes caresses du soleil ? parce que nous ne voyons goutte et ne savons où poser nos pieds, l’infini a-t-il perdu un seul rayon de lumière ? Donc, la nuit n’existe pas, si le jour existe.

— Pourquoi cette dernière restriction, mon frère ? Le jour peut-il ne pas exister ?

— Certes, mon mignon, le jour n’existe pas, si la nuit existe. Oh ! la belle vulgarisation, et que je voudrais avoir quelques douzaines d’enfants pour leur faire oublier leurs jouets ! Écoute : la lumière n’est pas une des conditions essentielles de l’espace ; elle est sans doute un phénomène tout artificiel. Notre soleil pâlit, assure-t-on ; les astres s’éteindront forcément. Alors l’immense nuit régnera de nouveau dans son empire, cet empire du néant dont nous sommes sortis. Tout bien considéré, la nuit existe, si le jour n’existe pas.

— Moi, frère, je suis tenté de croire qu’ils n’existent ni l’un ni l’autre.