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AVENTURES DU GRAND SIDOINE

— Voilà de singulières histoires. Et combien êtes-vous qui ne mangez pas ?

— Mais plusieurs centaines de mille.

— Ah ! mon frère Médéric, interrompit Sidoine, la rencontre me paraît des plus étranges et des plus imprévues. Je n’aurais jamais cru qu’on pût trouver sur la terre des gens qui eussent le singulier don de vivre sans manger. Tu ne m’as donc pas tout vulgarisé ?

— Mon mignon, j’ignorais cette particularité. Je la recommande aux naturalistes, comme un nouveau caractère bien tranché séparant l’espèce humaine des autres espèces animales. Je comprends maintenant que, dans ce pays, les pêches ne soient pas à tout le monde. Les petitesses de l’homme ont leurs grandeurs. Du moment où tous n’ont pas une commune richesse, il naît de cette injustice une belle et suprême justice, celle de conserver à chacun son bien.

Le mendiant avait repris son sourire doux et navrant. Il s’affaissait sur lui-même, comme ne pensant plus et s’abandonnant au bon plaisir du ciel. Il ouvrit les lèvres, sans le savoir.

— La charité, mes bons Messieurs ! reprit-il.

— La charité, bonhomme, dit Médéric, je sais où elle est. Cette pêche n’est pas à toi, et tu n’oses la prendre, obéissant en cela aux lois de ton pays et à cette idée du respect de la propriété que tu as sucée avec le lait de ta mère. Ce sont là de bonnes croyances qui doivent être fortement enseignées chez les hommes,