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Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/310

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AVENTURES DU GRAND SIDOINE

il réclama l’attention et termina en ces termes :

— Je me crois autorisé par ma longue expérience à vous donner le premier mon avis en cette matière délicate. Je le ferai avec toute la modestie qui convient à un simple membre de cette assemblée, mais aussi avec toute l’autorité d’une bête convaincue. C’est dire que je désespère de notre unité future, si mon plat n’est pas accepté à l’unanimité. En mon âme et conscience, ayant longtemps réfléchi au mets nous convenant le mieux, prenant en considération l’intérêt commun, je déclare, j’affirme hautement que rien ne contentera l’estomac et le cœur de chacun, comme une large tranche de chair saignante mangée le matin, une seconde tranche à midi et une troisième le soir.

Le lion s’arrêta sur cette parole pour recueillir les justes applaudissements que lui semblait mériter sa proposition. Il était de bonne foi et demeura tout étonné du manque d’ensemble des grognements. Adieu l’unanimité ! L’assemblée n’approuvait plus avec un complet abandon. Les loups et autres bêtes fauves, les oiseaux et les insectes d’appétits sanguinaires, s’extasièrent sur l’excellence du choix. Mais les animaux de nature différente, ceux qui vivent dans les prairies ou sur le bord des étangs, témoignèrent, par leur silence et leurs mines contristées, du peu de vertu civilisatrice qu’ils accordaient à la chair.

Quelques minutes s’écoulèrent, pleines de froideur et de malaise. On risque gros à combattre l’avis des puissants, surtout lorsqu’ils parlent au nom de la fra-