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AVENTURES DU GRAND SIDOINE

bons frères ! Luzerne, légumes, toutes les herbes des plaines, toutes les herbes des montagnes ! J’en parle savamment, sans arrière-pensée, et je n’ai que l’innocent désir de vivre sans tuer. Je vous le dis en vérité : hors de l’herbe, pas d’unité.

La brebis se tut, constatant à la dérobée l’effet produit par son discours. Quelques maigres adhésions s’élevèrent du côté de l’assemblée occupé par les chevaux, les bœufs et autres mangeurs de grains et de verdure. Quant aux bêtes qui avaient approuvé le choix du lion, elles parurent accueillir la nouvelle proposition avec un singulier mépris et une grimace de mauvais présage pour l’orateur.

Un ver à soie, de vue basse et privé de tact, prit alors la parole. C’était un philosophe austère, s’inquiétant peu du jugement d’autrui, et prêchant le bien pour le bien.

— Vivre sans tuer, dit-il, est une belle maxime. Je ne puis qu’applaudir aux conclusions de ma sœur la brebis. Seulement, ma sœur me paraît très gourmande. Pour un mets que nous cherchons, elle nous en offre cinquante, et paraît se complaire dans la pensée d’un menu de prince, aux plats nombreux et de goûts divers. Oublie-t-elle que la sobriété et le dédain des fins morceaux sont des vertus nécessaires à des bêtes se piquant de progrès ? L’avenir d’une société dépend de la table : manger peu et d’un seul plat, là est l’unique moyen de hâter la venue d’une haute civilisation, forte et durable. Je propose donc, pour ma part, de veiller