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Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/313

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ET DU PETIT MÉDÉRIC

sur notre appétit et surtout de nous contenter d’une seule sorte de feuilles. Le choix n’étant plus qu’une affaire de goût, je pense satisfaire celui de chacun en choisissant la feuille du mûrier.

— Ça, vieux radoteur, cria un pélican, ne sommes-nous pas assez maigres, sans risquer des coliques, à nous nourrir d’herbe humide ? Fraternise avec la brebis. Moi, je pense comme mon frère le lion, si ce n’est qu’il me paraît faire un choix regrettable en proposant de la chair saignante. La chair seule donne au corps la force de faire le bien, mais j’entends la chair de poisson, blanche et délicate ; c’est là une nourriture d’un manger savoureux, aimée de tout le monde. Enfin, et ce dernier argument doit vous convaincre, les mers occupant sur le globe deux fois plus de place que les continents, nous ne saurions avoir un plus vaste garde-manger. Mes frères comprendront ces raisons.

Les frères se gardèrent de comprendre et jugèrent à propos, pour clore les débats, de crier tous à la fois. Autant d’animaux, autant d’opinions ; pas deux pauvres esprits pensant de compagnie, pas deux natures semblables. Chaque bête se mit à gesticuler, à pérorer, offrant son mets et le défendant au nom de la morale et de la gourmandise. À les en croire, si tous les plats proposés avaient été acceptés, le monde entier aurait passé en ragoût ; il n’est matière qui ne fut déclarée excellente nourriture, depuis la feuille jusqu’au bois, depuis la chair jusqu’au caillou. Profond enseignement,