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ET DU PETIT MÉDÉRIC

terrible, aiguisée de toute leur colère. La nature l’emporta. Ils oublièrent en une seconde les bons procédés que se doivent entre eux des animaux civilisés, et se sautèrent simplement à la gorge les uns des autres. Ceux qui avaient choisi la chair, à bout d’arguments, trouvèrent plus commode de prêcher d’exemple. Les autres, n’ayant ni grain, ni herbe, ni poisson, ni aucun plat pour se venger, se contentèrent de servir à la vengeance de leurs frères.

Ce fut, pendant quelques minutes, une mêlée effrayante. Le nombre des affamés diminuait rapidement, sans qu’il restât un seul blessé à terre. Singulière lutte, dans laquelle les morts tombaient on ne savait où. À peine rassasié, le mangeur était mangé. Tous s’engraissaient mutuellement ; la fête commençait au plus faible pour finir au plus fort. Au bout d’un quart d’heure, le plancher se trouva net. Seules, dix ou douze bêtes fauves, assises sur leurs derrières, se léchaient complaisamment, les yeux demi-clos, les membres alanguis, ivres de nourriture.

L’école modèle avait donc eu pour résultat la plus grande unité possible, celle qui consiste à s’assimiler autrui corps et âme. Peut-être est-ce là l’unité dont l’homme a vaguement conscience, le but final, le travail mystérieux des mondes tendant à confondre tous les êtres en un seul. Mais quelle rude raillerie aux idées de notre âge qui promettent perfection et fraternité à des créatures différentes d’instincts et d’habitudes, parcelles de fange où un même souffle de