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ET DU PETIT MÉDÉRIC

Sidoine, en terminant, croisa les bras et se laissa aller à un demi-sommeil. Primevère regardait toujours les ténèbres, souriante, les bras au cou de Médéric, n’entendant que les battements du cœur de son ami.

Après un silence :

— Mon mignon, reprit celui-ci, il me reste à faire un discours. Ce sera le dernier, je te jure. Toute histoire, assure-t-on, demande une morale. Si jamais quelque pauvre hère, malade de silence, se met un jour en tête de conter l’étonnant récit de nos aventures, il fera bien auprès de ses lecteurs la plus sotte mine du monde, en ce sens qu’il leur paraîtra parfaitement absurde, s’il reste véridique. Je crains même qu’on ne le lapide, pour la liberté de paroles et d’allures de ses héros. Comme ce pauvre hère naîtra sans doute sur le tard, au milieu d’une société parfaite en tous points, son indifférence et ses négations blesseront à juste titre le légitime orgueil de ses concitoyens. Il serait donc charitable de chercher, avant de quitter la scène, la moralité de nos aventures et d’éviter ainsi à notre historiographe le chagrin de passer pour un malhonnête homme. Toutefois, s’il a quelque probité, voici ce qu’il écrira sur le dernier feuillet : « Bonnes gens qui m’avez lu, nous sommes, vous et moi, de parfaits ignorants, et, pour nous, rien n’est plus près de la raison que la folie. Je me suis, il est vrai, moqué de vous ; mais, auparavant, je me suis moqué de moi-même. Je crois fermement que l’homme n’est rien. Je doute de tout le reste. La plaisanterie de notre apothéose a trop