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AVENTURES DU GRAND SIDOINE

comme tu ne saurais, sans mourir d’ennui, garder tes poings en repos, pendant ce temps, tu laboureras nos champs, les sèmeras de grains, couperas nos moissons, vendangeras nos vignes ; de la sorte, nous mangerons du pain, boirons du vin, qui nous appartiendront, et nous ne tuerons jamais plus, même pour manger. En ces questions seules, je consens à rester savant. Je te le disais bien au départ : « Je te taillerai une si belle besogne que dans mille ans le monde parlera encore de tes poings. » Car les laboureurs des temps à venir s’émerveilleront, en passant au milieu de ces campagnes, et, à voir leur éternelle fécondité, ils se diront entre eux : « Là travaillait jadis le roi Sidoine. » Je l’avais prédit, mon mignon, tes poings devaient être des poings de roi ; seulement ce seront des poings de roi travailleur, les plus beaux et les plus rares qui existent.

À ces mots, Sidoine ne se sentit pas d’aise. Sa mission, dans la vie commune, lui parut de beaucoup la plus agréable, comme étant celle qui demandait le plus de force.

— Parbleu ! frère, cria-t-il, raisonner est une belle chose, quand on conclut sagement. Me voici tout consolé. Je suis roi et je règne sur mon champ. On ne saurait mieux trouver. Tu verras mes sillons droits et profonds, mon blé haut comme des roseaux, mes vendanges à saouler une province. Va, je suis né pour me battre avec la terre. Dès demain, je travaille et dors au soleil. Je ne pense plus.