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LE CARNET DE DANSE

mieux voir. Elle comptait machinalement sous ses doigts les glands de la couverture, et tenait son autre main grande ouverte sur le carnet. Celui-ci commençait à donner signe de vie ; il s’agitait et paraissait savoir parfaitement ce qu’était la dame blonde. J’ignore si le libertin en confia le secret à la jeune fille. Elle ramena sur ses épaules la dentelle qui glissait, acheva de compter scrupuleusement les glands de la couverture et dit enfin à demi-voix :

— C’est singulier, cette belle dame n’était sûrement ni la femme ni la sœur de monsieur Louis.

Elle se remit à feuilleter les pages. Un nom l’arrêta bientôt.

— Ce Robert est un vilain homme, reprit-elle. Je n’aurais jamais cru qu’avec un gilet d’une telle élégance on pût avoir l’âme aussi noire. Durant un grand quart d’heure, il m’a comparée à mille belles choses, aux étoiles, aux fleurs, que sais-je, moi ? J’étais flattée et j’éprouvais tant de plaisir que je ne savais quoi répondre. Il parlait bien et longtemps sans s’arrêter. Puis il m’a reconduite à ma place, et là, il a manqué pleurer en me quittant. Ensuite je me suis mise à une fenêtre ; les rideaux m’ont cachée en retombant derrière moi. Je songeais un peu, je crois, à mon bavard de danseur, lorsque je l’ai entendu rire et causer. Il parlait à un ami d’une petite sotte, rougissant au moindre mot, d’une échappée de couvent, baissant les yeux et s’enlaidissant par un maintien trop modeste. Sans doute il parlait de Thérèse, ma bonne amie. Thérèse a