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Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/67

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CELLE QUI M’AIME

dans les arbres, vacillaient des lanternes vénitiennes. Des baraques en toile bordaient les trottoirs, laissant traîner dans le ruisseau les franges de leurs rideaux rouges. Les faïences dorées, les bonbons fraîchement peints, le clinquant des étalages, miroitaient à la lumière crue des quinquets.

Il y avait dans l’air une odeur de poussière, de pain d’épices et de gaufres à la graisse. Les orgues chantaient ; les paillasses enfarinés riaient et pleuraient sous une grêle de soufflets et de coups de pied. Une nuée chaude et lourde pesait sur cette joie.

Au-dessus de cette nuée, au-dessus de ces bruits, se montrait un ciel d’été, aux profondeurs pures et mélancoliques. Un ange venait d’illuminer l’azur pour quelque fête divine, fête calme et silencieuse de l’infini.

Perdu dans la foule, je sentais la solitude de mon cœur. J’allais, suivant du regard les jeunes filles qui me souriaient au passage, et me disant que je ne reverrais plus ces sourires. Cette pensée de tant de lèvres amoureuses, entrevues un instant et perdues à jamais, était une angoisse pour mon âme.

J’arrivai ainsi à un carrefour, au milieu de l’avenue. À gauche, appuyée contre un orme, se dressait une baraque isolée. Sur le devant, quelques planches mal jointes formaient estrade, et deux lanternes éclairaient la porte, qui n’était autre chose qu’un pan de toile relevé en façon de rideau. Comme je m’arrêtais, un homme portant un costume de Magicien, grande robe