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Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/69

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CELLE QUI M’AIME

dont on se soucie le moins et qui ne promet pas la plus légère émotion.

Moi, j’avais écouté avec ferveur l’appel de l’homme à la grande robe. Ses promesses répondaient au désir de mon cœur, et je voyais une Providence dans le hasard qui venait de diriger mes pas. Ce misérable grandit singulièrement à mes yeux, de tout l’étonnement que j’éprouvais à l’entendre lire mes secrètes pensées. Il me sembla le voir fixer sur moi des regards flamboyants, battant la grosse caisse avec une furie diabolique et me criant d’entrer d’une voix plus haute que celle de la cloche.

Je posais le pied sur la première planche, lorsque je me sentis arrêté. M’étant tourné, je vis au pied de l’estrade un homme me retenant par mon vêtement. Cet homme était grand et maigre ; il avait de larges mains couvertes de gants de fil plus larges encore, et portait un chapeau devenu rouge, un habit noir blanchi aux coudes et de déplorables culottes de casimir, jaunes de graisse et de boue. Il se plia en deux, dans une longue et exquise révérence, puis, d’une voix douce et flûtée, me tint ce discours :

— Je suis fâché, Monsieur, qu’un jeune homme bien élevé donne un mauvais exemple à la foule. C’est une grande légèreté que d’encourager dans son impudence ce coquin spéculant sur nos mauvais instincts ; car je trouve profondément immorales ces paroles criées en plein vent, qui appellent filles et garçons à une débauche du regard et de l’esprit. Ah ! Monsieur,