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CELLE QUI M’AIME


IV


Je laissai retomber le rideau et me trouvai dans le temple. C’était une sorte de chambre longue et étroite, sans aucun siège, aux murs de toile, et éclairée par un seul quinquet. Quelques personnes, des filles curieuses et des garçons faisant tapage, s’y trouvaient déjà réunies. Tout se passait d’ailleurs avec la plus grande décence : une corde, tendue au milieu de la pièce, séparait les hommes des femmes.

Le Miroir d’amour, à vrai dire, n’était autre chose que deux glaces sans tain, une dans chaque compartiment, petites vitres rondes donnant sur l’intérieur de la baraque. Le miracle promis s’accomplissait avec une admirable simplicité : il suffisait d’appliquer l’œil droit contre la vitre, et au delà, sans qu’il soit question de tonnerre ni de soufre, apparaissait la bien-aimée. Comment ne pas croire à une vision aussi naturelle !

Je ne me sentis pas la force de tenter l’épreuve dès l’entrée. La Bayadère m’avait regardé au passage, et ce regard me donnait froid au cœur. Savais-je, moi, ce qui m’attendait derrière cette vitre : peut-être un horrible visage, aux yeux éteints, aux lèvres violettes ; une centenaire avide de jeune sang, une de ces créatures difformes que je vois, la nuit, passer dans mes