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CELLE QUI M’AIME

mauvais rêves. Je ne croyais plus aux blondes créations dont je peuple charitablement mon désert. Je me rappelais toutes les laides qui me témoignent quelque affection, et je me demandais avec terreur si ce n’était pas une de ces laides que j’allais voir apparaître.

Je me retirai en un coin, et, pour reprendre courage, je regardai ceux qui, plus hardis que moi, consultaient le destin, sans tant de façons. Je ne tardai pas à goûter un singulier plaisir au spectacle de ces diverses figures, l’œil droit grand ouvert, le gauche fermé avec deux doigts, et ayant chacune leur sourire, selon que la vision plaisait plus ou moins. La vitre se trouvant un peu basse, il fallait se courber légèrement. Rien ne me parut plus grotesque que ces hommes venant à la file voir l’âme sœur de leur âme par un trou de quelques centimètres de tour.

Deux soldats s’avancèrent d’abord : un Sergent bruni au soleil d’Afrique, et un jeune Conscrit, garçon sentant encore le labour, les bras gênés dans une capote trois fois trop grande. Le Sergent eut un rire sceptique. Le Conscrit demeura longtemps courbé, singulièrement flatté d’avoir une bonne amie.

Puis vint un gros homme en veste blanche, à la face rouge et bouffie, qui regarda tranquillement, sans grimace de joie ni de déplaisir, comme s’il eût été tout naturel qu’il pût être aimé de quelqu’un.

Il fut suivi par trois Écoliers, bonshommes de quinze à seize ans, à la mine effrontée, et se poussant pour faire accroire qu’ils avaient l’honneur d’être ivres.