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LA FÉE AMOUREUSE

dats trouvaient bon accueil auprès du comte Enguerrand, le seigneur du manoir.

Si tu l’avais aperçu, le vieux guerrier, se promenant dans les longues galeries, si tu avais entendu les éclats de sa voix brève et menaçante, tu aurais tremblé d’effroi, tout comme tremblait sa nièce Odette, la pieuse et jolie damoiselle. N’as-tu jamais remarqué, le matin, une pâquerette s’épanouir aux premiers baisers du soleil parmi des orties et des ronces ? Telle s’épanouissait la jeune fille parmi de rudes chevaliers. Enfant, lorsque au milieu de ses jeux elle apercevait son oncle, elle s’arrêtait, et ses yeux se gonflaient de larmes. Maintenant elle était grande et belle ; son sein s’emplissait de vagues soupirs ; et un effroi plus âpre encore la saisissait, chaque fois que venait à paraître le seigneur Enguerrand.

Elle demeurait dans une tourelle éloignée, s’occupant à broder de belles bannières et se reposant de ce travail en priant Dieu, en contemplant de sa fenêtre la campagne d’émeraude et le ciel d’azur. Que de fois, la nuit, se levant de sa couche, elle était venue regarder les étoiles, et, là, que de fois son cœur de seize ans s’était élancé vers les espaces célestes, demandant à ces sœurs radieuses ce qui pouvait l’agiter ainsi. Après ces nuits sans sommeil, après ces élans d’amour, elle avait des envies de se suspendre au cou du vieux chevalier ; mais une rude parole, un froid regard l’arrêtaient, et, tremblante, elle reprenait son aiguille. Tu plains la pauvre fille, Ninon ; elle était comme la fleur fraîche