Page:Zola - Fécondité.djvu/104

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Elle plaisantait, et d’un léger saut, en jouant, elle se mit au lit ; puis, elle resta la tête haute sur l’oreiller, les bras en dehors du drap, dans le même geste de tendre appel. Mais il hochait la tête, il recommença tristement à revivre, à remâcher sa journée, en un flot de paroles lentes, sans fin.

— Non, vois-tu, chérie, ça finit par me gonfler le cœur, lorsque je rentre ici, dans notre dénuement, après avoir vu, chez les autres, tant d’aisance et de prospérité. Tu sais combien peu je suis envieux, sans ambition, sans désir de m’élever ni de m’enrichir. Seulement, que veux-tu ? il est des heures où je souffre pour vous, oui ! pour toi et pour les enfants, où je voudrais vous gagner une fortune, vous sauver au moins de la misère menaçante… Ces Beauchêne, avec leur usine, avec leur petit Maurice qu’ils élèvent en futur prince, me font-ils assez sentir que nous crèverons de faim, nous deux, avec nos quatre enfants ! Et ces pauvres Morange, qui parlent de donner une royale dot à leur fille, les voilà eux-mêmes glorieux au milieu du faux luxe de leur nouvelle installation, en train de rêver d’une place de douze mille francs, pleins d’un amical dédain pour nous ! Et nos propriétaires encore, ces Séguin, si tu les avais vus étaler leurs millions devant moi, leur hôtel qui déborde de merveilles, m’écraser, me prendre en pitié et en dérision, à cause de ma famille nombreuse, eux dont la sagesse sait se borner à un garçon et à une fille ! Et, enfin, jusqu’à ces Lepailleur dont le moulin nous nargue, car c’est bien clair, si cette femme est venue, avec son Antonin, te dire qu’elle n’en aurait jamais un second, cela signifiait que le fait d’en voir quatre, chez nous, lui inspirait la crainte de ne pas être payée !… Ah ! sûrement, nous n’aurons jamais une usine, ni un hôtel, ni même un moulin, pas plus que jamais sans doute je ne gagnerai douze mille francs. Les autres ont tout, et