Page:Zola - Fécondité.djvu/133

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— Ma petite Reine, venez donc avec les enfants dans la salle à manger. Nous allons nous occuper du goûter et mettre le couvert. Ce sera très amusant.

Cette idée souleva une clameur assourdissante. La lecture fut oubliée, la table, bousculée, et les trois garçons entraînèrent Reine dans une galopade folle, tandis que Rose, laissée en arrière, tombée sur les mains, les suivait en criant et en bondissant comme un petit chat.

Dès qu’elle fut seule avec Marianne, Valérie soupira.

— Ah ! ma chère, que vous êtes heureuse de pouvoir, sans vous gêner, avoir de la sorte de beaux enfants à votre guise ! Voilà un bonheur qui m’est défendu.

Très étonnée, la jeune femme la regardait.

— Comment cela  ? Il me semble que vous êtes bien libre et que mon cas est le vôtre.

— Oh ! pas du tout, ma chère, pas du tout ! Vous avez des goûts simples, votre vie n’est pas arrangée comme la mienne. Vous savez, on fait sa vie, la nôtre est faite, nous avons tout réglé pour Reine et pour nous, et ce serait un désastre, s’il fallait tout changer maintenant.

Puis, avec une brusque violence de désespoir :

— Si je me voyais enceinte comme vous, si j’en étais certaine, ah ! je ne sais pas ce que je ferais, j’en deviendrais folle !

Et, malgré son effort, des larmes jaillirent de ses yeux, elle se couvrit le visage de ses mains tremblantes.

De plus en plus surprise, Marianne se souleva, lui prit les mains affectueusement, avec de bonnes paroles, pour la calmer. Enfin, elle la confessa, sut que, depuis trois mois, elle avait des raisons de se croire enceinte. D’abord, elle s’était tranquillisée en pensant à des retards possibles  ; mais, ce mois-ci, son doute devenait une certitude, elle ne vivait plus. Et elle disait leur effarement, à elle et à son mari, devant cette grossesse inattendue, car ils étaient si certains de leur prudence ! Lui, le pauvre cher homme,