Page:Zola - Fécondité.djvu/163

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chez nous, que je ne la retrouve pas ce soir en rentrant, si elle ne veut pas que je la jette par la fenêtre ! »

Norine, épouvantée, se sauva, sous la malédiction paternelle. Elle renouait ses beaux cheveux, elle ramenait sur elle les lambeaux de sa blouse, et, d’un bond, elle fut à la porte, elle disparut au milieu du silence glacé de l’atelier.

Alors, Beauchêne se fit conciliant.

— Voyons, mon brave Moineaud, calmez-vous, soyez courageux. Après un tel scandale, évidemment, je ne puis pas garder Norine, que son état aurait d’ailleurs forcée à quitter l’atelier… Mais vous savez combien nous vous estimons tous. Ce qui arrive, n’est-ce pas ? ça ne vous empêche pas d’être tout de même un bon ouvrier et un brave homme. 

Moineaud parut très touché.

— Sans doute, monsieur Beauchêne. Seulement, c’est tout de même dur à digérer, une saleté pareille. 

Mais le patron insista.

— Bah ! ce n’est pas votre faute, vous n’êtes pas le coupable… Tenez ! donnez-moi la main. 

Et Beauchêne serra la main de Moineaud, qui s’en alla, très flatté, ému aux larmes. Euphrasie, triomphante, avait repris sa place devant son établi. Toutes les ouvrières, menacées d’un renvoi immédiat, au moindre bruit, travaillaient sans un souffle, le nez sur leurs petites meules.

Mathieu resta tout bouleversé, gardant pour lui ses réflexions, mais hanté de questions nombreuses, dont il n’osait se faire à lui-même les réponses. Il avait suivi des yeux, avec une surprise croissante, Beauchêne qui se retirait majestueusement, en homme de poigne, satisfait d’avoir rétabli l’ordre. Puis, comme, pour retourner à son bureau, il traversait celui de Morange, il eut encore l’étonnement de voir le comptable se laisser tomber sur