Page:Zola - Fécondité.djvu/162

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Mademoiselle Euphrasie, je vous ordonne de vous taire, je ne supporterai pas un mot de plus ! »

Il bégayait un peu, car la crainte devait lui venir que cette enragée ne sût l’histoire et ne se mît à la conter tout haut, dans la frénésie où elle était. Mais l’aînée se défiait trop de la cadette pour lui confier ses secrets. Il en eut la sensation, lorsque son regard eut rencontré celui de la misérable fille en larmes, un regard de pauvre être faible, se sentant si humble, si perdu, promettant tout encore, s’il voulait ne pas l’abandonner complètement. Sa tranquille carrure de maître tout-puissant reparut, tandis qu’Euphrasie concluait, de sa petite voix sèche :

« Oh ! moi ! monsieur Beauchêne, je n’ai plus rien à dire. Ça m’étouffait, de savoir ça, et tant pis si papa l’apprend ! »

Le papa, il était resté derrière elle, il venait d’entendre toute la vilaine histoire. Quel guignon, qu’on fût allé le chercher ! C’était un homme qui n’aimait pas les tracas, si las déjà des embêtements du pauvre monde, se disant qu’il aurait beau travailler, qu’il n’arriverait jamais à vaincre les saletés de la vie. Il avait fini par accepter les choses inévitables, n’ignorant pas que les fils et les filles tournaient mal le plus souvent, s’arrangeant un coin de tranquillité, en fermant les yeux. Mais voilà qu’on le forçait de se fâcher ! Et, quand il comprit qu’on l’avait vu, il se montra vraiment très bien, saisi d’une véritable indignation, à être ainsi déshonoré devant le monde. Il se jeta sur Norine, le poing levé, la voix tremblante.

« C’est donc vrai, tu ne dis pas non ?… Ah ! la malheureuse, je la tuerai ! »

De nouveau, Mathieu et Morange intervinrent, arrêtèrent le père, qui cria encore :

« Qu’elle s’en aille, qu’elle s’en aille tout de suite, ou je fais un malheur ! Et qu’elle ne remette pas les pieds