Page:Zola - Fécondité.djvu/196

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printemps devenait une moisson déshonorée, corrompue à l’avance, frappée d’ignominie. Que de force, que de santé, que de beauté perdues ! Maintenant, il les sentait toutes venir là de l’inconnu, il les plaignait toutes, les tristes femmes grosses, et celles que la pauvreté mettait à la rue, et celles qui devaient se cacher, les clandestines, les coupables, donnant de faux noms, accouchées dans le mystère d’enfants qu’on rejetait à l’anonyme souffrance, d’où ils sortaient. Puis, il eut un attendrissement, au milieu de la détresse qui lui serrait le cœur : n’était-ce pas de la vie tout de même, ne devait-on pas accepter toutes les poussées de sève, dans la grande forêt humaine ? et les plus vigoureux des chênes n’étaient-ils pas souvent ceux qui avaient grandi contre les obstacles, parmi les ronces et les pierres ?

Quand Norine se retrouva de nouveau seule avec Mathieu, elle le supplia de parler à madame, pour qu’elle lui permît de prendre du café noir, à son déjeuner de midi. Puisqu’il devait lui remettre dix francs par mois d’argent de poche, elle le paierait plutôt. Et elle le renvoya, lui fit promettre de l’attendre en bas, dans le salon pendant qu’elle allait s’habiller.

En bas, Mathieu se trompa d’abord, ouvrit une porte, aperçut le réfectoire, une vaste pièce occupée par une longue table, et dans laquelle la cuisine voisine soufflait une odeur d’évier mal tenu ; puis, en face, dans le salon d’attente, meublé d’acajou et de reps fané, deux femmes qui causaient, lui dirent que Mme Bourdieu était occupée. Alors, il s’assit au fond d’un grand fauteuil, il tira un journal de sa poche, voulut se mettre à lire. Mais, la conversation des deux femmes l’intéressant, il les écouta. L’une était évidemment une pensionnaire de la maison, arrivée à la dernière période d’une grossesse pénible, qui l’avait ravagée, jaune, abattue, la face meurtrie. Et il comprit que l’autre, sur le point aussi