Page:Zola - Fécondité.djvu/197

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d’accoucher venait de s’entendre avec la sage-femme, pour entrer le lendemain. Aussi questionnait-elle la première, désireuse de savoir si l’on était bien, comment on mangeait, comment on vous soignait.

— « Oh ! vous ne serez pas mal, surtout vous qui aurez quelque argent, expliqua lentement la pauvre femme dolente. Moi, c’est l’Administration qui m’a mise ici, j’y serais bien sûr cent fois mieux que chez moi, si je n’avais tant d’inquiétude d’avoir laissé tout mon petit monde à l’abandon. Je vous ai dit que j’ai déjà trois enfants, et Dieu sait comment ils sont soignés, car mon homme n’est pas très gentil. Chaque fois que j’accouche, c’est la même chose : il se dérange de son travail, il boit, il court, au point que je ne suis même pas certaine de le retrouver, quand je rentre. C’est comme si mes petits étaient à la rue. Vous comprenez si je me dévore, lorsque j’ai ici tout ce qu’il me faut, bien nourrie, bien chauffée, tandis que ces pauvres mioches, là-bas, n’ont peut-être ni pain ni feu… Hein ? c’est réussi d’en faire encore un, pour qu’il augmente notre malheur à tous !

— Sans doute, sans doute, murmura l’autre, qui écoutait à peine, tout entière à sa propre histoire. Moi, mon mari est employé. Si je viens ici, c’est que ça nous donnera moins de tracas, tant notre logement est étroit et peu commode. D’ailleurs, je n’ai encore qu’une petite fille de deux ans, qui est restée en nourrice chez une de nos cousines. Il va falloir la reprendre, pour mettre à sa place celui qui pousse. Que d’argent on dépense, mon Dieu ! »

Mais elles furent interrompues. Une dame en noir, la figure voilée, entra, introduite par une bonne, qui la pria d’attendre son tour. Mathieu fut sur le point de se lever. Comme il tournait le dos, il venait de reconnaître, dans une glace, Mme  Morange. Après une hésitation, cette toilette noire, cette épaisse voilette, le décidèrent à se replonger au fond de son fauteuil,