Page:Zola - Fécondité.djvu/206

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— « Comment, c’est vous, mon cher ami ? »

La voix du comptable le frappa, changée, brisée, d’une terreur étranglée, qui lui donna un premier frisson.

— « Oui, c’est moi… Je suis venu, j’ai besoin que vous me rendiez un service… »

Et, comme il entendait les enfants, dans le salon, il y poussa sa fille Reine, souriante.

— « Va, ma chérie, ne t’inquiète pas, joue avec tes petits amis. Je viendrai te reprendre. Embrasse-moi. » Quand il revint, après avoir fermé la porte, Mathieu lui vit le visage, un visage blême et décomposé, d’angoisse horrible, maintenant qu’il n’avait plus à se cacher de sa fille.

— « Mon Dieu ! mon pauvre ami, qu’y a-t-il donc ? »

Un instant, il bégaya, renfonçant des sanglots, si tremblant, qu’il ne pouvait parler.

— « Il y a que ma femme se meurt… Pas chez nous, autre part. Je vous raconterai tout… Alors, Reine croit qu’elle est en voyage, et je lui ai dit que j’étais obligé de la rejoindre. Je vous en supplie, vous allez me garder Reine, le temps nécessaire… Mais ce n’est pas tout, j’ai une voiture, je vous emmène, il faut absolument que vous veniez tout de suite avec moi. »

Malgré sa pitié profonde, Mathieu eut un geste de refus.

— « Oh c’est impossible, pas aujourd’hui. Ma femme accouche. »

Hébété, Morange le regarda un instant, comme si un nouveau désastre croulait sur lui. Puis, il fut pris d’un affreux tressaillement un flot d’amertume l’empoisonnait et lui tordait la bouche.

— « Ah ! oui c’est vrai, votre femme était enceinte, et elle accouche, oui, c’est bien naturel. Je comprends que vous voulez être là, pour l’heureux événement… Mais ça ne fait rien, mon ami, vous allez venir avec moi, je suis