Page:Zola - Fécondité.djvu/226

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qu’un réconfort, au lieu d’avoir sa moitié de peine, comme il avait eu sa moitié de bonheur.

Ce fut pour Mathieu une longue détresse. Des minutes s’écoulèrent, puis une heure, puis deux heures. Le docteur Boutan n’arrivait toujours pas. La servante, qu’on avait envoyée chez les Séguin, était revenue dire que le docteur la suivait. Et l’attente recommença. Marianne avait forcé Mathieu à s’asseoir, en laissant sa main entre les siennes. Tous les deux, pâles du même tourment, se taisaient, n’échangeaient que de rares paroles d’inquiétude tendre. Ils connaissaient ensemble la grande et bonne souffrance, celle dont l’effort fait de la vie, dans le mystère qui veut que toute création soit douloureuse. Et cette douleur achevait de les confondre, les exaltait en une telle beauté d’amour, que rien de triste n’émanait d’eux, et que la chambre, au contraire, resplendissant de leur passion chantait déjà le triomphe.

Il y eut un coup de sonnette, Mathieu frémissant se hâta de descendre. Et, quand il trouva le docteur Boutan en bas de l’escalier :

— « Ah ! docteur, docteur…

— Ne me faites pas de reproches, mon cher ami. Vous ne vous imaginez pas les transes par lesquelles je viens de passer. Cette pauvre petite femme a failli me rester deux ou trois fois entre les mains. Enfin, elle était délivrée, lorsqu’une attaque d’éclampsie a manqué se produire. C’était ce que je redoutais depuis le commencement… Dieu merci ! je la crois hors d’affaire. »

Puis, comme il se débarrassait de son chapeau et de son paletot, dans la salle à manger :

— « Aussi comment voulez-vous qu’une femme ait de bonnes couches, lorsque, jusqu’au sixième mois, elle se serre à étouffer, va dans le monde, au théâtre, partout, buvant et mangeant n’importe quoi, sans précaution aucune ! Ajoutez que celle-là est d’une nervosité inquiétante