Page:Zola - Fécondité.djvu/242

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tandis qu’elle examinait Marianne, c’était la question de savoir si une grossesse ne l’abîmerait pas, n’écarterait pas son mari d’elle, tant elle en sortirait enlaidie peut-être. Certainement, cette femme, gaie et fraîche, avec son bel enfant au sein, dans ce lit tout blanc, au milieu du soleil, le tableau était délicieux. Mais il y avait des hommes qui avaient ça en horreur. Et ce débat secret se traduisit par cette réflexion :

« D’ailleurs, je pourrais bien ne pas nourrir. Nous prendrions une nourrice.

— Évidemment, dit le mari. Jamais je ne te laisserais nourrir ce serait idiot. »

Tout de suite, il regretta cette brutalité, il s’en excusa auprès de Marianne. Et il expliqua qu’aujourd’hui pas une mère ne consentait à se donner le tracas de nourrir, quand elle avait quelque fortune.

« Oh ! moi, dit alors Marianne, avec son tranquille sourire, j’aurais cent mille francs de rente, que je nourrirais tous mes enfants, dussé-je en avoir douze. Je crois bien, d’abord, que j’en tomberais malade, si ce cher petit ne me débarrassait pas de ce lait qui m’inonde : c’est pour ma santé qu’il me boit ainsi. Et puis, je m’imaginerais que je ne l’ai pas fait jusqu’au bout, je me sentirais coupable de ses moindres bobos, oui ! une mère criminelle, une mère qui ne veut pas la santé, la vie de son enfant ! »

Elle avait abaissé sur le petit ses beaux yeux tendres, elle le regardait téter goulûment, d’un regard d’immense amour, heureuse même du mal qu’il lui faisait parfois, ravie quand il la buvait trop fort, comme elle disait. Et elle continua d’une voix de rêve :

« Mon enfant à une autre, oh ! non, jamais, jamais ! J’en serais trop jalouse, je veux qu’il ne soit fait que de moi, sorti de moi, achevé par moi. Ce ne serait plus mon enfant, si une autre l’achevait. Et il ne s’agit pas que de sa santé physique, je parle de tout son être, de l’intelligence