Page:Zola - Fécondité.djvu/243

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et du cœur qu’il aura, qu’il doit tenir de moi, de moi seule. Si, plus tard, je le voyais sot et méchant, je croirais que c’est l’autre qui l’a empoisonné… Cher, cher enfant bien-aimé ! quand il tète si fort, je sens que je passe toute en lui, c’est un délice. »

Elle leva les yeux, elle aperçut au pied du lit Mathieu, qui la regardait, très ému. Et elle ajouta gaiement :

« Tu en es aussi, toi !

— Ah ! cria-t-il, en se tournant vers les deux amants, elle a bien raison. Que toutes les mères l’entendent et qu’elles remettent donc à la mode, en France, de nourrir elles-mêmes leurs enfants ! Il suffirait que cela devînt la beauté. Et n’est-ce pas la beauté, la plus éclatante et la plus haute ? »

Les Angelin s’étaient remis à rire, complaisamment. Ils ne semblaient point convaincus, dans leurs seuls désirs d’amants égoïstes. Et ce qui acheva la déroute, ce fut un petit accident prévu, la misère humaine. Comme M. Gervais finissait de téter, Marianne s’aperçut qu’il s’était oublié dans sa couche. Elle ne fit que s’en égayer davantage, elle ne se gêna pas pour prendre une couche propre et pour changer l’enfant. Elle demanda l’éponge, le lava, l’essuya. Sous le clair soleil, ce nettoyage, ce petit corps nu et rose, n’était pour elle qu’une joie de plus. Mais, tout de même, ceux à qui l’enfant n’appartient pas, peuvent avoir d’autres yeux. Et les Angelin se levèrent, prirent congé.

« Alors, c’est pour dans neuf mois ? demanda gaillardement Mathieu.

— Mettons dix-huit, répondit le mari, si nous comptons les mois de réflexion. »

Justement, sous la fenêtre, éclatait un vacarme, une clameur perçante de petits sauvages lâchés en pleins champs, parce qu’Ambroise, en lançant une balle, l’avait perchée dans un arbre. Blaise et Denis jetaient des