Page:Zola - Fécondité.djvu/249

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

bien, lorsque ce paysan, ce fils de paysan, maudissait, injuriait la terre et n’avait plus que l’ambition de la voir reniée par son fils ? Jamais opposition plus significative ne l’avait frappé, c’était l’exode désastreux des campagnes vers les villes, qui s’aggravait année en année anémiant et détraquant la nation.

« Vous avez tort, dit-il sur un ton de gaieté, pour enlever sa rudesse au débat. Ne trahissez pas la terre, c’est une vieille maîtresse qui se vengera. À votre place, j’aurais d’elle tout ce que je voudrais, par un redoublement de soins. Elle reste aujourd’hui, comme au premier jour, la grande épouse féconde, et elle enfante toujours au centuple, quand on l’aime d’une solide étreinte. »

Mais Lepailleur se débattait, levait ses deux poings.

« Non, non ! j’en ai assez, de la garce !

— Et tenez ! continua Mathieu, ce qui m’étonne, c’est qu’il ne se soit pas encore trouvé un gaillard intelligent et brave, pour tirer parti de toute cette immense propriété abandonnée, ce Chantebled dont le père Séguin, autrefois, avait rêvé de faire un domaine royal. Il y a là de vastes terrains en friche, des bois dont il faudrait abattre une partie, des landes qu’on rendrait aisément à la culture. Quelle belle tâche, quelle création pour un homme ! »

Du coup, Lepailleur resta béant. Puis, sa goguenardise déborda.

« Mais, mon bon monsieur, vous êtes fou, excusez-moi de vous le dire !… Cultiver Chantebled, défricher ces pierrailles, s’embourber dans ces marécages ! Eh ! vous y enterrerez des millions, sans y récolter un boisseau d’avoine. C’est un coin maudit que le père de mon grand-père a vu tel qu’il est, et que le fils de mon petit-fils verra tout pareil… Ah ! bien ! je ne suis pas curieux, mais ça m’amuserait de connaître l’imbécile qui tenterait une pareille folie. On peut dire que celui-là boirait un fameux bouillon.