Page:Zola - Fécondité.djvu/250

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— Mon Dieu ! qui sait ? conclut paisiblement Mathieu. Il suffit d’aimer pour faire des miracles. »

La Lepailleur, qui était allée chercher une douzaine d’œufs, restait maintenant plantée devant son mari, en admiration de l’entendre si bien parler à un bourgeois. Tous les deux s’entendaient à merveille dans leur colère avaricieuse de ne pas récolter les écus à la pelle, sans gros travail, ainsi que dans leur ambition de faire de leur fils un monsieur, puisque, seul, un monsieur pouvait s’enrichir. Aussi, comme Marianne prenait congé, après avoir mis les œufs sous un coussin de la voiture de Gervais, lui fit-elle complaisamment remarquer son Antonin, qui, ayant creusé un trou, crachait dedans.

« Oh ! il est futé, il connaît déjà ses lettres, et nous allons le mettre à l’école. S’il tient de son père, je vous assure qu’il ne sera pas bête. »

Ce fut une dizaine de jours plus tard, un dimanche, que Mathieu, dans une promenade qu’il fit avec Marianne et les enfants, eut la révélation suprême, le coup de pleine lumière qui devait décider de leur vie à tous. Ils étaient partis pour l’après-midi, ils avaient même fait le projet de goûter dehors, au beau milieu des champs, dans les herbes hautes. Et, après avoir battu les sentiers, traversé les bouquets d’arbres, erré parmi les landes, ils étaient revenus à la lisière des bois, s’installer sous un chêne. De là, ils voyaient se dérouler la vaste étendue, depuis le petit pavillon, l’ancien rendez-vous de chasse qu’ils occupaient, jusqu’au lointain village de Neville : à leur droite, se trouvait le grand plateau marécageux, d’où descendaient de larges pentes desséchées et stériles, dont les vallonnements se perdaient ensuite à leur gauche, tandis que, derrière leur dos, s’enfonçaient les bois, des bois faits de taillis profonds, que séparaient des clairières, des herbages que jamais faux n’avait coupés. Et pas une âme autour d’eux, rien que cette nature laissée à