Page:Zola - Fécondité.djvu/279

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nés viables et qu’on tuait, en les enlevant à la mère, la seule nourrice dont le lait faisait vivre.

Un flot de sang réchauffa le cœur de Mathieu, lorsque, tout d’un coup, il eut la pensée de Marianne, saine et forte, qui devait l’attendre, sur le pont de l’Yeuse, dans la vaste campagne, avec leur petit Gervais au sein. Des chiffres, qu’il avait lus, s’éveillaient dans sa mémoire.

Pour certains départements, qui se livraient à l’industrie nourricière, la mortalité des nourrissons était de cinquante pour cent ; pour les meilleurs, de quarante ; pour les pires, de soixante-dix. En un siècle, on avait calculé qu’il en était mort dix-sept millions. Longtemps, la moyenne de la mortalité totale s’était tenue de cent à cent vingt mille par an. Les règnes les plus meurtriers, les grandes tueries des plus effroyables conquérants, n’avaient pas entassé de pareils massacres. C’était une bataille géante que la France perdait chaque année, le gouffre de toute force, le charnier de toute espérance. Au bout, fatalement, était la déroute, la mort imbécile de la nation. Et Mathieu, pris de terreur, se sauva, n’eut plus que le besoin consolant d’aller retrouver Marianne, dans leur paix, dans leur sagesse et leur santé.