Page:Zola - Fécondité.djvu/280

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Un jeudi matin, Mathieu déjeunait chez le docteur Boutan dans le petit entresol que ce dernier occupait depuis plus de dix ans déjà, rue de l’Université, derrière le Palais-Bourbon. Par une contradiction dont il riait lui-même, cet apôtre passionné de la fécondité était célibataire ; et il expliquait cela en disant, de son air de bonhomie plaisante, qu’il était ainsi plus libre d’accoucher les femmes des autres. Dans la continuelle bousculade de sa grosse clientèle, il n’avait guère de libre que l’heure de déjeuner ; de sorte que, lorsqu’un ami désirait causer sérieusement avec lui, il préférait l’inviter à sa très modeste table de garçon, un œuf, une côtelette, une tasse de café, avalés en courant.

C’était un conseil sur un grave sujet que Mathieu désirait lui demander. Après deux nouvelles semaines de réflexions, son rêve de tenter la culture, de tirer du chaos ce domaine de Chantebled méconnu, ignoré de tous, l’obsédait à un tel point, qu’il en était à souffrir de n’oser prendre un parti. Chaque jour, grandissait en lui l’invincible besoin d’enfanter, de perpétuer la vie, le désir impérieux d’un homme qui a trouvé l’œuvre à faire, de la santé, de la force, de la richesse à créer, et qui n’en dort plus. Mais quel beau courage, quel souriant espoir il lui fallait, pour risquer une entreprise d’une si folle apparence, dont lui seul sentait la sagesse prévoyante et profonde ! et avec qui discuter librement cela, à qui soumettre