Page:Zola - Fécondité.djvu/286

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l’impossibilité absolue de remplir son devoir, il y a le biberon, qui, bien tenu, employé soigneusement, avec du lait stérilisé, donnent des résultats suffisants… Quant à la nourrice au loin, c’est la mort presque certaine de l’enfant, et quant à la nourrice sur lieu, c’est une transaction honteuse, une source incalculable de maux, souvent même un double crime, le double sacrifice consenti de l’enfant de la mère et de l’enfant de la nourrice. »

La voiture s’arrêta rue Roquepine, devant le bureau de nourrices.

« Je parie, reprit le docteur gaiement, que vous n’êtes jamais entré dans un bureau de nourrices, tout père de cinq enfants que vous êtes.

— Ma foi, non ! répondit Mathieu.

— Eh bien ! descendez, vous allez voir ça. Il faut tout connaître. »

Le bureau de la rue Roquepine était le plus important, le plus avantageusement connu du quartier. Il était tenu par Mme  Broquette, une dame blonde d’une quarantaine années, d’un visage digne, un peu couperosé, toujours sanglée dans un corset et vêtue d’une robe fanée de soie feuille-morte. Mais, si cette dame était la dignité, la prestance de la maison, chargée des rapports avec la clientèle, l’âme véritable, l’agent sans cesse en besogne était M. Broquette, le mari, un petit homme de cinquante ans au nez pointu, aux yeux vifs, d’une agilité de furet. Chargé de la police du bureau, de la surveillance et de l’éducation des nourrices, il les recevait, les nettoyait, leur apprenait à sourire, à être gentilles, les parquait dans les chambres, les empêchait de trop manger. Du matin au soir, on ne voyait que lui, rôdant, grondant terrorisant ce terrible monde de filles sales, grossières, souvent menteuses et voleuses. La maison, un ancien petit hôtel délabré avec son rez-de-chaussée humide, seul ouvert à la clientèle, et ses deux étages de