Page:Zola - Fécondité.djvu/300

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provision d’argent, mise entre ses mains, ayant suffi, il n’avait plus qu’à lui montrer les factures, tout un petit dossier qu’il tenait à sa disposition. Et il commentait à fournir quelques détails, lorsque Beauchêne lui coupa la parole dans la joie dont éclatait son visage.

« Vous savez ce qui s’est passé ici ? Elle a eu l’audace de revenir demander du travail, pas à moi bien entendu, au chef de l’atelier des femmes. Heureusement, j’avais prévu le coup, mes ordres étaient formels, et le chef lui a répondu qu’il ne pouvait pas la reprendre, pour le bon ordre de la maison. Sa sœur Euphrasie, qui se marie la semaine prochaine, est encore à l’atelier. Les voyez-vous, de nouveau, se prendre aux cheveux ? Et puis, enfin, sa place n’est plus chez moi, que diable ! »

Il alla prendre son petit verre de cognac sur la cheminée, le vida et revint, en disant de son air gai :

« Elle est trop belle fille pour travailler. »

Mathieu se tut, devant ce mot abominable. Lui aussi, depuis la veille, savait par une rencontre que Norine, dès sa sortie de chez Mme Bourdieu, peu désireuse de recommencer une vie de querelles chez ses parents, avait, pour quelques nuits, demandé asile à une amie qui vivait avec un amant. Après sa tentative infructueuse à l’usine Beauchêne, elle s’était bien présentée dans deux autres maisons ; mais la vérité était qu’elle ne mettait pas une ardeur passionnée à chercher du travail. Pendant sa grossesse, ses quatre mois de paresse heureuse, ses grasses matinées venaient de la dégoûter à jamais de la rude vie d’ouvrière. Maintenant, ses mains étaient blanches et douces, elle n’avait plus que l’invincible désir de l’existence entretenue, des plaisirs faciles, rêvés dès enfance, le long du trottoir parisien.

« Alors, reprit Beauchêne, je vous disais donc, mon cher, que je l’ai rencontrée. Et devinez dans quelles conditions ? toute pimpante, gentiment attifée, au bras d’un