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Page:Zola - Fécondité.djvu/332

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volée. Il avait entendu et il s’arrêta, pour répondre.

« Qu’il tète et qu’il dorme, en attendant le retour du soleil. Nous aurons un homme à la moisson. »

Puis, montrant le vaste champ qu’il ensemençait avec ses deux aides :

« Ceci poussera et mûrira, lorsque notre Gervais marchera et parlera… Vois donc, vois donc notre conquête ! »

Il en était justement fier. Maintenant, quatre à cinq hectares du plateau étaient débarrassés des mares stagnantes, défrichés, aplanis, et ils s’étendaient en une nappe brune, toute grasse du terreau amassé, tandis que les rigoles qui les sillonnaient portaient l’eau des sources sur les pentes voisines. Là, pour livrer à la culture ces terrains secs, il fallait attendre que l’humidité les eût pénétrés et fertilisés. Ce serait le travail des saisons futures, la vie de proche en proche ranimerait tout le domaine. Au début, il suffisait que l’éveil se fît de ces quelques hectares, de quoi payer les premiers frais, vivre et annoncer le prodige.

« Le soir va venir, reprit-il. Il faut se hâter. »

Et Mathieu repartit, lançant le grain à la volée, de son grand geste rythmique. Pendant que Marianne le regardait s’éloigner, grave et souriante, la petite Rose, qui était là, eut l’idée de semer elle aussi. Elle l’accompagna, elle prit des poignées de terre qu’elle jeta au vent du ciel. Les trois garçons l’aperçurent, Blaise et Denis accoururent les premiers, Ambroise se hâta ensuite, tous semant à pleins bras. Ils en riaient follement, tourbillonnaient comme un vol sans fin, autour du père. Et il sembla un moment que Mathieu du même rythme dont il confiait aux sillons les germes du blé attendu, les semait aussi, ces chers enfants adorés, les multipliait sans compter, à l’infini, pour que tout un petit peuple de semeurs futurs, nés de son geste, achevât de peupler le monde.