Page:Zola - Fécondité.djvu/441

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fils ne l’avait traversée d’une angoisse, le jour où le triste Morange, foudroyé par la mort tragique de sa fille unique, était resté seul. Depuis cet abandon suprême, le misérable vivait dans une sorte de stupeur, l’imbécillité du bon employé médiocre, méticuleux, appliqué mécaniquement à sa besogne. Parlant à peine, très correct, très doux, il avait repris son travail de comptable, en homme à jamais échoué, qui ne devait plus quitter l’usine, où ses appointements étaient montés au chiffre de huit mille francs. On ne savait trop ce qu’il pouvait faire de cette somme, forte pour un homme d’existence si étroite, si régulière, sans dépense aucune, sans fantaisie connue en dehors de l’appartement, beaucoup trop vaste désormais, qu’il avait obstinément gardé, s’y enfermant, y menant une vie de jaloux qui se verrouille, dans une solitude farouche. Et c’était cette douleur écrasée qui avait un instant bouleversé Constance, au point de l’attendrir, de la faire sangloter avec Morange, les premiers jours, elle dont les larmes coulaient difficilement. Sans doute, le retour inconscient sur elle-même, la pensée de l’autre enfant qu’elle aurait pu avoir, lui en était demeurée, lui revenait aux heures troubles, lorsque, du fond de sa maternité réveillée, inquiète, montaient des craintes obscures, de brusques effrois qu’elle ne s’était jamais connus. Pourtant son fils Maurice, après une adolescence délicate, qui avait nécessité de grands soins était maintenant un beau garçon de dix-neuf ans, toujours un peu pâle, mais d’air vigoureux ; il venait de terminer d’assez bonnes études, il aidait déjà son père dans la direction de l’usine ; et sa mère, en adoration devant lui, n’avait jamais mis plus de souveraines espérances sur sa tête de fils unique, le voyant maître demain de cette maison dont il élargirait encore la fortune, qui lui donnerait la royauté de l’argent et du pouvoir.