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Page:Zola - Fécondité.djvu/47

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— Tais-toi, les voici. Et tu sais, je n’ai pas besoin de Gaude, moi ! Il n’y a pas d’enfant au bout.

Les Morange revenaient enfin, avec Reine. Sa mère l’avait frisée. Elle était vraiment délicieuse, en robe de petite soie rose, garnie de dentelles blanches, coiffée d’un grand chapeau de même étoffe que la robe. Sa gaie figure ronde, aux bandeaux noirs, avait là-dessous une délicatesse de fleur.

— Oh ! l’amour ! s’écria Sérafine, pour faire plaisir aux parents. Vous savez qu’on va me l’enlever.

Puis, elle imagina de l’embrasser avec emportement, elle joua l’émotion de la femme qui regrette de ne pas être mère.

— Oui, c’est un regret, quand on voit un trésor pareil. Si l’on était sûre que le bon Dieu vous en donnât un si joli, tout de suite on consentirait… Tant pis ! je la vole, je ne vous la ramène pas !

Ravis, les Morange riaient d’aise. Et Mathieu, qui la connaissait bien, l’écoutait d’un air de stupeur. Que de fois, dans leur intimité courte et violente, elle lui avait parlé avec une haine rageuse de ces saletés d’enfants, dont la venue toujours possible terrorise l’amour. Ils sont là comme une éternelle menace, gâtant et limitant la volupté, faisant payer la joie d’une heure d’une longue souffrance, d’un embarras sans fin ; et c’étaient alors des mois, des années, qu’ils volaient au plaisir. Sans compter qu’ils ne naissaient guère qu’en destructeurs de la femme, la flétrissant, la vieillissant, faisant d’elle un objet de nausée pour les hommes. La nature était imbécile d’avoir mis à l’amour cette rançon de la maternité. Depuis surtout qu’une grossesse, interrompue heureusement par une fausse couche, lui avait donné un avertissement dont elle frémissait encore, elle n’était plus qu’une amoureuse exaspérée, prête au crime pour se garer de l’enfant, le traitant en bête mauvaise, dont la crainte la retenait seule.