Aller au contenu

Page:Zola - Fécondité.djvu/510

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

et de froid, comme mortes. Mais surtout il reconnut à peine le petit salon préféré, sans fenêtres apparentes, d’un silence de tombe, où il se souvenait d’avoir été reçu en plein jour, aux lueurs adoucies de deux candélabres. Il en avait emporté le parfum troublant, il se rappelait la crise de désir fou qui avait failli l’y ramener, un soir d’ivresse. Et ce salon n’était plus le même, une fenêtre sans rideau l’éclairait d’une lumière livide, il apparaissait glacé, usé, dans un désordre honteux.

« Ah ! mon ami, répéta Sérafine, asseyez-vous comme vous pourrez. Je n’ai plus de chez-moi, je ne rentre ici que pour y agoniser de regrets et de colère. »

Elle retira ses gants, elle ôta son chapeau et sa voilette. Et il regardait, telle qu’elle lui était apparue déjà, lors de leurs quelque rencontres, mais saisi d’un véritable effroi, à la voir de près, à l’étudier dans son inquiétante déchéance. Il l’évoquait quelques années plus tôt, à trente-cinq ans, avec son insolente beauté rousse, sa haute taille de conquête, sa chevelure de soleil, sa gorge, ses épaules impudiques, sans une flétrissure. Quel vent terrible l’avait donc détruite, pour la vieillir brusquement ainsi, d’un néant de spectre, comme si la mort avait déjà passé, et qu’il vît se lever là, devant lui, le squelette décharné de la femme triomphante qu’il avait connue ! Elle avait cent ans.

« Oui, vous me regardez encore, vous ne pouvez pas le croire. C’est comme moi, lorsque je m’aperçois dans une glace, j’ai peur… Aussi, vous le voyez, j’ai voilé toutes les glaces, ici, tant je tremble à l’idée de rencontrer mon fantôme. »

Il s’était assis sur un canapé très bas, elle vint se mettre à son côté, lui prit les mains amicalement, entre ses doigts amaigris.

« Hein ? vous ne craignez plus que je vous violente, me voilà trop vieille, et je puis tout vous dire… Mon