Page:Zola - Fécondité.djvu/530

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une cloison vitrée, on apercevait, au fond, la pièce obscure dans laquelle vivait le ménage, à la fois cuisine, salle à manger et chambre à coucher, ne prenant un peu d’air que sur une cour humide, pareille à un regard d’égout.

« Vous voyez, monsieur, nous n’avons guère de place. Seulement, nous ne payons que huit cents francs, et où trouverions-nous une boutique, à ce prix-là ? Sans compter que, depuis vingt ans bientôt, ma petite clientèle est faite dans le quartier… Oh ! moi, je ne me plains pas, je ne suis pas grosse, il y a toujours assez d’espace pour moi. Et, comme mon mari ne rentre que le soir, il s’installe à fumer sa pipe dans son fauteuil, il ne souffre pas trop. Je le gâte le plus que je peux, il est assez raisonnable pour ne pas en demander davantage… Mais, avec un enfant, ça devient impossible. »

Le souvenir de son premier garçon, de son petit Pierre, lui revint, lui emplit les yeux de larmes.

« Tenez ! monsieur, il y a dix ans de cela. Je vois encore la Couteau me ramener le petit, comme elle va, tout à l’heure, me ramener l’autre. On me racontait tant d’histoires, et le bon air de Rougemont, et la vie saine des enfants, et les joues rouges du mien, que je l’y avais laissé jusqu’à l’âge de cinq ans, désolée de ne pas avoir ici de place pour lui.

Les cadeaux que la nourrice a tirés de moi, tout l’argent que j’ai donné, non ! vous ne pouvez pas vous en faire une idée, c’était la ruine. Et puis, brusquement je n’ai eu que le temps de le faire revenir, on m’a rendu un enfant si maigre, si blême, si faible, comme s’il n’avait jamais de sa vie mangé du bon pain. Deux mois plus tard, il mourait dans mes bras… Le père en a fait une maladie, monsieur, et, si nous n’avions pas eu de la tendresse l’un pour l’autre, je crois bien que nous serions allés tous les deux nous jeter à l’eau. »