Page:Zola - Fécondité.djvu/54

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coins de solitude, derrière de hautes plantes vertes, où l’on pouvait se réfugier à deux, s’enfouir et disparaître.

— Tiens ! c’est vous, monsieur Froment ! dit brusquement une voix, qui venait de la table aux étains.

Et un grand jeune homme, d’une trentaine d’années, qu’un paravent avait jusque-là caché, s’avança, la main tendue.

— Ah ! dit Mathieu, après une hésitation, monsieur Charles Santerre !

Il ne le voyait que pour la seconde fois, dans cette même pièce, où il l’avait rencontré. Charles Santerre, romancier déjà célèbre, jeune maître aimé des salons, avait un beau front, des yeux bruns caressants, une bouche trop ronge, trop large, qu’il cachait sous sa barbe coupée à la mode assyrienne, frisée avec soin. Il s’était fait par les femmes, qu’il fréquentait tendrement, sous prétexte de les étudier, résolu à tirer d’elles tout ce qu’il pourrait, pour son plaisir et sa fortune. On le disait d’ailleurs très humble, très souple avec elles, en amoureux transi, tant qu’il ne les avait pas possédées ; ensuite, il les exécutait sauvagement, dès qu’elles lui devenaient inutiles. Décidé au célibat, par principe et par calcul, s’installant dans le nid des autres, simple exploiteur du vice mondain, il avait adopté en littérature la spécialité de l’adultère, ne peignant que l’amour coupable, élégant et raffiné, l’amour infécond, qui jamais n’enfantait. Il n’avait eu d’abord aucune illusion sur ses livres, ce n’était qu’un métier aimable et lucratif qu’il choisissait de propos délibéré. Puis, dupe de ses succès, il avait laissé son orgueil lui persuader qu’il était un écrivain. Et il se donnait maintenant comme le peintre en cravate blanche d’un monde à l’agonie, il professait le pessimisme le plus désenchanté, la fin du désir, par l’abstention réciproque, dont il faisait la religion du bonheur final, dans l’anéantissement.