Page:Zola - Fécondité.djvu/57

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sur le monde enfin désert, reconquis par la félicité parfaite. Toute votre œuvre est là.

— Oui, oui. Vous me gâtez, vous allez me donner de l’orgueil.

Mathieu avait lu le roman, s’étant avisé de l’emprunter à madame Beauchêne, pour que sa femme Marianne connût un livre dont tout le monde parlait. Et il était sorti de cette lecture révolté, exaspéré. Cette fois, Santerre, abandonnant la garçonnière accoutumée, où ses femmes du monde fraudaient en dehors du lit conjugal, de cinq à sept, avait voulu s’élever à l’art pur, au symbole abscons et lyrique. Il contait l’histoire subtile d’une comtesse, Anne-Marie, qui, pour fuir un mari grossier, un mâle faiseur d’enfants, se réfugiait, en Bretagne, près d’un jeune artiste d’inspiration divine, Norbert, lequel s’était chargé de décorer de ses visions la chapelle d’un couvent de filles cloîtrées. Pendant trente ans, son travail de peintre évocateur durait, tel un colloque avec les anges, et le roman n’était que l’histoire des trente années, de ses amours pendant trente ans, aux bras d’Anne-Marie, dans une communion de caresses stériles, sans que sa beauté de femme fût altérée d’une ride, aussi jeune, aussi fraîche, après ces trente ans d’infécondité, que le premier Jour où ils s’étaient aimés. Pour accentuer la leçon, quelques personnages secondaires, des bourgeoises, des épouses et des mères de la petite ville voisine, finissaient dans une déchéance physique et morale, une décrépitude de monstres.

Ce qui révoltait Mathieu, c’était cette théorie imbécile et criminelle de l’amour sans l’enfant, toute la beauté physique, toute la noblesse morale mises dans la vierge. Et il ne put s’empêcher de dire à l’auteur :

— Un livre très intéressant, très remarquable… Mais, pourtant, qu’arriverait-il, si Norbert et Anne-Marie avaient un enfant, si elle devenait grosse ?